Pierluca Degni, avocat associé chez Degni & Vecchio

Vos commentaires sur les réseaux sociaux vous font-ils courir un risque ? (2/2)

L’Internet est un formidable moyen de dialoguer et permet de prendre position sur tout type de sujet. Quels sont les contours de cette liberté d’expression nouvelle, souvent anonyme ?
Dans cette deuxième partie de notre entretien, l’avocat Pierluca Degni nous fournit des éléments de réponse indispensables quand on compte intervenir dans l’espace médiatique numérique.

Tandem. Ce qui est répréhensible dans la rue l’est également sur les réseaux sociaux. L’anonymat est-il une protection légitime de l’internaute ?
Pierluca Degni. La question est d’actualité. Chez nos voisins français par exemple, un groupe de députés LREM a récemment proposé d’étudier la faisabilité d’une levée de l’anonymat sur les réseaux sociaux. À l’heure actuelle, créer et utiliser un compte anonyme n’est pas un délit ; seul le contenu des propos et l’intention peuvent tomber sous le coup de la loi.

Que doit faire une entreprise ou une personne lorsqu’elle est attaquée anonymement (ou pas) sur les réseaux sociaux ?
Lorsqu’une personne morale ou physique est touchée par des injures, une diffamation, la diffusion de fausses informations, des rumeurs infondées ou une tentative de manipulation, elle doit avant tout soupeser le préjudice. Si l’attaque est anonyme, il faut savoir que la protection des données personnelles est un droit et que les démarches pour la lever peuvent s’avérer complexes ; dans certains cas, le silence est la plus grande des sciences.
En revanche, lorsque l’attaque porte atteinte à l’honneur ou menace d’entraîner des conséquences préjudiciables à l’image par exemple, le dépôt d’une plainte (condition de l’action pénale) avec le concours d’un avocat s’avère la démarche la plus adaptée. Ce dernier déterminera tout d’abord la pertinence d’une procédure, le rapport coût/résultat et la stratégie à adopter.
Lorsqu’il s’agit d’un personnage public, une réputation peut être détruite en quelques jours ; de Tarik Ramadan à Darius Rochebin, les exemples sont nombreux de ces personnalités présumées innocentes à ce jour, mais rendues coupables par la résonance médiatique. Ne pas réagir serait désastreux dans la plupart des cas.

Lorsqu’on soupçonne une origine interne de l’attaque, que conseillez-vous aux entreprises ?
De contacter un avocat spécialisé, qui sera le mieux armé pour faire la part des choses et agir opportunément. Notre profession se doit d’accorder une priorité aux solutions non contentieuses, et tout avocat diligent doit s’interdire de tirer des conclusions à partir de données partielles avant de conseiller à son client d’initier une procédure, souvent lourde en termes de retentissement et de coûts. Une consultation simple et un peu de bon sens peuvent changer un destin.
Si l’attaque est sérieuse et préjudiciable, nous recommandons très souvent d’engager une enquête interne. Notre étude est expérimentée dans ce type de démarche « pré-contentieuse » dont l’efficacité a largement fait ses preuves, surtout au niveau des risques réputationnels inhérents aux entreprises, car menée en toute discrétion et sous couvert du secret professionnel le plus strict.

Pour conclure cette interview, pensez-vous qu’il soit souhaitable d’interdire l’anonymat dans l’écosystème digital
J’y suis opposé, car la protection de la personnalité et la liberté d’expression sont sacrées et n’ont pas à être restreintes sous prétexte de ses dérives potentielles. Le pouvoir judiciaire est là pour remettre de l’ordre là où des abus ont été commis. Laisser un pouvoir politique modifier la loi pour contrôler tant la sphère privée que l’opinion des citoyens est un risque de glissement autoritaire que nous ne pouvons pas prendre dans une démocratie.

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